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Charles Clessens
20 juillet 2014

Vous partez en vacances ? Abandonnez votre chien !

 

Vacances canines

Non, bien sûr. Ce titre volontairement stupide et erroné, c'est pour vous tirer de votre torpeur estivale et vous obliger à lire la suite. Mais, avant tout, si vous partez, il NE faut PAS abandonner son ou ses petits compagnons.

Bref.

Comme vous le savez, j'aime l'écriture. C'est pourquoi, j'avais notamment publié, sous le titre de "Vacances canines" une petite nouvelle qui relate les (més?)aventures d'un petit chien gentil comme tout avec son "maître". Permettez-moi de vous la proposer ci-dessous. Si vous n'avez rien à faire ou à lire pendant les longues soirées d'hiver, il vous suffit d'enregistrer et/ou de copier le lien.

Bonne lecture à ceux qui veulent et ceux qui ne veulent pas, c'est tout aussi simple, cliquez sur l'article suivant. 

  

Chienne de vie

Charles Clessens

  

à ma fille Audrey et à son chien Lou

à mon épouse Isabelle et à son chien Pataud

 

La naissance

Grinçant et grimaçant, la porte s’écarquillait vers l’intérieur de la maison, à la recherche d’une ombre, même fugace.

Dans le même temps, caressées par un léger courant d’air qui nous apportait les senteurs naissantes issues du jardin herbeux et fleuri, les rues du printemps plongeaient droit et sans détour vers un été qui ne pourrait qu’être de légende.

Avachis et vaincus sans combattre par une nature chaude, lourde, impitoyable qui terrassait jusqu’à nos volontés, nous épousions les fauteuils du petit salon si bien que seul un événement retentissant eût pu nous extirper de cette torpeur béate et bienfaisante tout à la fois.

Ce fut le doigt du voisin qui le provoqua en appuyant avec viscosité sur le bouton de sonnette qui, je l’affirme, ne lui avait pourtant rien fait. Fossoyeur de repos mérité, mais vite pardonné parce qu’effectivement, le fait qu’il nous balbutia était de taille et nous propulsa telles d’opiniâtres goules vers le jardin qui, pour la circonstance avait revêtu son habit de lumière et nous souriait de sa flore munificente.

Les questions angoissantes se bousculaient: étaient-ils gris, blancs ou noirs, trois, quatre, cinq ou mille, mâles ou femelles, morts ou vivants... ? ? ?

Le plus audacieux d’entre nous, à moins que ce ne soit le plus curieux, s’approcha furtivement pour ne pas l’effrayer. Mais qui donc, bon Dieu, ou plutôt qui donc, mauvais Diable, aurait bien pu effrayer cette grosse chienne bâtarde d’un noir d’ébène insupportable aux âmes pures et qui venait de donner naissance à cinq chiots pas encore espiègles, mais déjà voraces.

Eux et elle, à moins que ce ne soit elle et eux, formaient un ensemble bariolé.

Ce n’était plus qu’un seul corps ivre de bonheur laissant la joie de la vie éclabousser le jardin.

Les feuilles des arbres dansaient, bruissaient, crissaient tandis que les chats... même les chats...

Seuls les pères n’étaient pas là, mais les pères...

Le coup de foudre qui avait frappé le voisin pour ses chiens lui conférait une fierté presque insoutenable. Mais, attention! Tout nouveau tout beau et pas encore contraignant.

Les chiots, princes du printemps, prirent pleinement possession de leur empire qui pour l’instant se limitait au voisin et à son jardin.

Les jours passaient, les semaines s’écoulaient. Les effusions de tendresse s’espaçaient de plus en plus, le jouet s’effritait. L’amour soudain du voisin pour ses chiens peu à peu s’estompait pour faire place à l’indifférence, mais non pas une indifférence ordinaire, banale, mais bien l’indifférence cruelle et implacable déjà toute proche de la lassitude, voire de la haine.

Je ne pense pas que jusqu’alors les chiots se soient, ne fût-ce un seul instant, rendu compte que seul leur subsistait le bol de lait.

L’été, lui, semblait avoir compris mais, préférant adopter une attitude sans âme, il se retira pour faire place à l’automne. Les feuilles des arbres dansaient toujours leur folle farandole, bien que le vent impitoyable les arrachât une à une avec rage et violence.

 

La séparation

 

Soudain, la sinistre sarabande brutalement s’arrêta. L’évolution, une des lois de la vie, provoqua la séparation des chiots qui, au reste, n’en étaient plus. Six mois de passés, c’est presque déjà une vie de chien de consommée.

L’un d’eux jeté en pâture à un autre voisin, même tout à fait quelconque, avait son avenir assuré; mais ses frères ou soeurs étaient toujours là, insatiables à souhait.

La vieille chienne, noire et mère de surcroît, était bien incrustée dans la famille voisin mais pourquoi, Diable, les chiots trouvaient-ils fréquemment porte close alors que progressivement, l’hiver, déjà tentaculaire, envahissait leur empire.

La société parfois protectrice, mais trop souvent exécutrice proposa une solution. Pour autant qu’il m’en souvienne, ce fut par un après-midi orageux que l’opaque camion grillagé s’arrêta devant la porte du voisin et ce jour-là, ce jour-là seulement, les chiots ne trouvèrent point l’huis clos.

L’un à la suite de l’autre, à grands coups de caresses et de baisers volés, ils pénétrèrent dans l’antre de l’homme qui, impassible, ne leur sourit même pas. Ils se précipitaient, joyeux, confiants, curieux vers ce nouveau et grand jouet, vers ce véhicule étrange dont la marque était «Destin», mais, cela, ils l’ignoraient. Tel le croque-mort guettant son client au sortir de l’église, l’homme alluma une cigarette puis immédiatement après que tous les chiots eurent pénétré dans le camion, il en referma la lourde porte, s’assit derrière le volant et disparut vers je ne sais quelle cruelle destination, vers le pays de nulle part, celui dont on ne revient pas.

Tous ne furent pas massacrés parce que le plus espiègle d’entre eux avait, protégé par l’ange des chiens sans doute, échappé au voyage crématoire. Il était resté dans le jardin, derrière le tas de planches, amoureux d’un étrange insecte à moins que ce ne soit d’une abeille.

Le lendemain matin, un dimanche bien sombre, le voisin, la fesse tranquille et l’âme en paix, s’étirait dans ses draps douillets. Un bruit auquel il ne s’attendait pas attira son attention. Un chuchotis inhabituel, mal défini, quelque chose d’étrange, un cri de douleur étouffé, un appel ?

A moitié éveillé, tout comme sa curiosité, il se leva et constata que le bruit singulier était maintenant accompagné de légers frottements à peine perceptibles. Intrigué sans toutefois être inquiet, il ouvrit lentement la porte et brusquement sans ménagement aucun, l’horreur de la situation lui bondit au visage: il en restait un! Qui plus est, c’était le roux là qui le regardait là, ses petits yeux emplis d’incertitude, d’espoir et de reconnaissance pour le bol de lait qu’il n’allait certes pas manquer de recevoir. Il avait même presque l’air de se demander comment on avait pu l’oublier.

Le roux ne savait pas encore qu’il était devenu loup, il ignorait qu’il était le survivant et que son prochain combat, tout comme le suivant et le suivant, serait celui pour la vie. Il ne pensait pas encore que tous les hommes ressemblent à des chiens dénaturés. D’ailleurs, il ignorait qu’il existe des chiens dénaturés.

Il est malaisé de discerner si ce fut sous l’emprise de la pitié ou du remords, toujours est-il que le voisin ouvrit la porte et s’effaça pour laisser entrer le chiot.

Le petit roux, attiré entre autre par la chaleur, se précipita à l’intérieur à la recherche de son bol. Il ne le vit pas à l’endroit habituel, comme c’est étrange. Il volta et vint s’enrouler, joyeux et quémandeur sur la jambe du voisin qui avait très certainement caché le récipient. Il se mit à japper et l’homme, qui depuis quelques instants réfléchissait, se dirigea vers une grande caisse en carton déjà presque poussiéreuse et en extirpa l’écuelle. Sa main, subitement moite, la laissa échapper. Se penchant pour la ramasser, son regard, hasard aidant, croisa celui du chiot qui observait la scène. Dans les yeux de l’animal, il crut déceler les mêmes questions que lui, le voisin, commençait à se poser. Il venait de céder à un moment d’émotion, mais le problème subsistait : que faire de l’intrus ?

Les jours qui suivirent n’apportèrent pas de solution.

Le chiot qui, apparemment avait récupéré une grande partie de ses prérogatives, manifestait même une certaine gratitude, principalement traduite par de grands coups de langue râpeuse, tendre et baveuse tout à la fois. Taquiné par l’imaginaire muse des chiens, le voisin oscillait visiblement entre amour et haine qui sont si souvent étrangement proches.

Il essayait bien à l’un ou l’autre moment de caresser l’animal et même de jouer avec lui, mais le coeur n’y était plus. La rupture paraissait définitivement prononcée et le sursis profondément consommé.

Qui plus est, les vacances d’hiver se profilaient à l’horizon.

Tout avait été prévu pour caser la vieille mère, je veux dire la vieille chienne-mère ou mère-chienne si vous préférez. Elle séjournerait chez un ami qui lui aussi “aimait” les animaux. Pour ce qui concerne le chiot, une idée noire mais sans doute efficace traversa l’esprit tout aussi obscur du voisin. Il allait partir prochainement, dès lors pourquoi ne pas l’emmener, ce rouquin ? L’aller ne garantit pas forcément le retour.

Les chiens aiment la montagne et la neige, c’est quand même bien connu et puis, loin de la maison, le long d’une route déserte, il sera aisé de ... ou du moins il n’est pas impossible que… à moins qu’il s’échappe, qu’il fuie vers la liberté. Mais, oui ! Quelle idée splendide, la voilà la solution. Une semaine de patience, une semaine entière pour se persuader qu’un animal doit vivre en liberté, et au pire pour se convaincre qu’il trouvera nourriture et abri lorsque le besoin s’en fera sentir. Une semaine, c’est suffisant. La décision prise, le voisin diluerait ses éventuels derniers remords en comblant l’animal de bienfaits et de tendresse suave les ultimes jours précédant l’échéance du départ.

N’agit-on de la sorte avec les condamnés à mort ? Il convient de reconnaître que la civilisation a quand même ses coutumes et ses avantages.

Visiblement satisfait, le voisin accueillit l’animal dans ses bras et se mit à lui prodiguer force caresses. Il s’essuya lentement la main, toujours moite, sur le doux pelage roux tout en y prenant un certain plaisir, joignant de la sorte l’utile à l’agréable.

Le chien, toujours confiant n’aurait certes manqué de ronronner …s’il avait été chat.

Dieu que ça peut parfois être bête une bête. 

Le départ

Décembre largement entamé, les premiers flocons de neige timidement avaient fait leur apparition.

Le voisin, l’esprit clair et dégagé, attendait avec empressement le jour du grand départ.

La date faste ou la faste date, pour les amateurs de phonétique exotique, approchait.

Pour la toute première fois, le voisin allait s’octroyer des vacances d’hiver, découvrir le ski, son rêve.

La neige au rendez-vous, le sort du chiot encombrant bientôt réglé par la même occasion, la dernière guerre, celle du Golfe je crois, oubliée depuis longtemps; bref la vie était belle.

Le départ programmé pour le lendemain, il restait quelques achats à effectuer afin de s’assurer la survie dans le chalet qu’il s’était permis de louer là-bas au loin, dans la campagne glacée au pied de la colline boisée qu’il appellerait montagne avec la fierté du vieux trappeur canadien au seuil de son long hiver de labeur et de grande solitude.

Se hissant dans sa voiture, il prit la direction d’une grande surface anonyme qui, la gueule grande ouverte, semblait l’attendre. Profitant du trajet, il imaginait sans peine comment se passeraient ses vacances mais l’endroit et la manière dont il se débarrasserait du roux lui hantaient quand même un peu l’esprit.

Auto-promu général, il échafauda un plan de bataille qui lui offrirait une victoire dont le couronnement serait l’absence de remords.

Toutes les guerres ne génèrent-elles pas leurs cortéges d’innocentes victimes ?

La neige qui virevoltait joyeusement avant de s’écraser en silence sur le sol commençait à rendre la route quelque peu glissante. Le voisin, ravi, se mit à manier le volant avec habileté et arriva sans le moindre problème sur l’immense parking à moitié désert qui d’emblée semblait lui reprocher sa présence.

Prudemment, il descendit de son véhicule et s’engagea dans l’entrée du magasin non s’en s’être procuré le petit chariot conventionnel destiné à entreposer les marchandises que très souvent on n’a jamais eu l’idée d’acheter. Il passa, serein et conquérant, entre les différents rayons et son chariot avala avidement tout ce qui eût pu lui manquer dans sa retraite hivernale. Avant de se présenter à la caisse, il se dirigea vers les aliments pour animaux et annexa brutalement la boîte qui fournirait le dernier repas au condamné. On sait vivre, que Diable, respectons les convenances et le rituel. La caissière, qui elle aussi aimait les chiens, le gratifia d’un sourire qu’il crut complice.

Regagnant son véhicule, depuis peu gentiment déguisé de blanc, n’alla-t-il pas jusqu’à offrir son obole à un pauvre hère qui, inlassablement, tournait la manivelle d’une étrange boîte montée sur deux grandes roues. Une espèce de musique archaïque s’en extirpait et s’élevait avec tristesse et mélancolie vers les cieux. Le retour s’effectua sans encombre. Il rangea la voiture devant la maison, en sortit non sans avoir empoigné les trois grands sacs regorgeant de nourriture. A peine rentré, le coeur et le corps bien au chaud, il rechercha fébrilement la boîte du chien qui pour l’occasion ferait office de passeport pour le Grand Pardon ou pour le néant, c’est selon. Le coeur appuyé sur l’ouvre-boîte, il héla le chiot à coups de cris ensoleillés. Délaissant le sommeil réparateur dans lequel, inconsciemment vaporeux, il flottait, le chien s’en vint aux nouvelles en bâillant prodigieusement. L’odeur alléchante non pas de la viande fraîche, mais de la boîte fraîchement ouverte lui enjoignit de se précipiter. Cette brusque réaction de l’animal fut ressentie avec orgueil par le voisin comme un témoignage de remerciement et de servitude tout à la fois. Ô Dieu que ça peut parfois être bête un homme. La soirée défila lentement, sans événement marquant et le voisin bardé de bonne conscience traîna misérablement ses os jusqu’au lendemain. Repoussant la tolérance dans ses derniers retranchements, il accepta la présence de l’animal au pied de son trop grand lit. Du crépuscule à l’aurore du jour nouveau, il n’y a qu’un pas, par ailleurs vite franchi. Le vent du matin murmurait gravement à l’extérieur et s’engouffrait par vagues successives dans la cheminée éveillant sans discernement le voisin, le chiot. Notre homme posa lourdement un pied hésitant hors du lit. Il se passa la main dans les cheveux à plusieurs reprises; le chiot choisit ce moment pour se manifester. Reniflant bruyamment, la tête dans son bol vide, il poussa quelques larmoiements auxquels le voisin répondit par un large sourire. Du frigo il retira la boîte de viande à moitié vide, en déversa le contenu d’un geste sec, le dernier repas. Se redressant lentement, il se dirigea vers la grande table rectangulaire qui, au milieu de la cuisine, s’apprêtait à lui vomir son petit déjeuner...

Les dernières formalités de départ rapidement exécutées, le véhicule lourdement mais habilement chargé, il ne restait que le sursitaire à embarquer. Notre voisin utilisa pour ce faire une cage grillagée prévue à cet effet.

Il saisit délicatement l’animal tout à fait ravi de tant d’animation dans la maison et le déposa toujours avec une apparente tendresse retrouvée dans son nouveau mais provisoire domicile. Une odeur connue, à la fois forte et familière, imprégnait nettement cette boîte étrange. Le chien se contorsionnait dans sa nouvelle prison, recherchant de ses petits yeux rougis sa mère qu’il sentait toute proche bien que ne la voyant pas. Il voulut sortir, mais en quelques pénibles instants il fit l’apprentissage de sa première captivité.

Que de changements en si peu de temps.

En passant dans le petit salon, ballotté d’un coin à l’autre de la cage, il voulut cueillir du bout des griffes la vieille pantoufle avec laquelle il avait gentiment joué la veille et tenta bien de s’y agripper mais le grillage l’en empêcha.

Dehors, un vent d’hiver, sec et agressif, sifflait et propulsait les blancs flocons dans tous les sens en guise de protestation. La cage fut déposée avec un certain ménagement sur une valise, elle-même couchée sur le siège arrière. Le voisin introduisit sa clef dans une espèce de petit trou noir sous le volant et soudain, un bruit assourdissant envahit l’habitacle. Quelques trépidations et le chiot, un peu effrayé, vit les maisons qui commençaient à se déplacer, les arbres se succéder, les rues défiler, puis les routes, les routes...

De temps à autre, le tourbillon s’arrêtait mais reprenait de plus belle presque immédiatement et, fait bizarre, le voisin qui ne cessait de manipuler des boutons et des leviers ne semblait pas le moins du monde contrarié. Un souffle bienfaisant d’air chaud entrait en chantant dans la cage et le petit chien peu à peu s’apaisa puis s’endormit, oubliant tous ses soucis.

A l’extérieur, le vent manifestait toujours avec la même angoisse et semblait vouloir user de tous ses moyens pour freiner le véhicule qui poursuivait en grimaçant sa route vers l’incertitude par monts et coteaux en ribambelle. 

Au chalet

Après quelques heures de trajet, la voiture, le voisin, les bagages et le roux étaient arrivés là-bas au loin, là-bas où tout commence. Voisin croyait connaître la fin bien qu’il n’en ait pas encore envisagé les modalités avec précision.

Quand et surtout comment allait-il se débarrasser du petit ?

Tout ce qui avait été chargé le matin dans la voiture fit, chiot y compris, le trajet en sens inverse. Toujours enfermé, le roux pouvait détailler sa nouvelle demeure: une espèce de grande pièce peu encombrée, quelques meubles nus, et, dans le bas du mur, un étrange trou noir qui sentait le brûlé. A peine entré, l’homme s’accroupit en grinçant, craqua une allumette qu’il plaça délicatement sous quelques brindilles bien sèches qui s’enflammèrent en crépitant. Quelques petits bouts de bois toussotèrent puis une grosse bûche gronda et peu à peu une douce chaleur s’empara du chalet, contribuant à rassurer le chiot qui en avait bien besoin. Dans sa retraite solitaire, notre voisin s’installait sans hâte, avec toute la sérénité des gens heureux. Déballant ses victuailles et son matériel, il rendit son verdict quant au sort de cet animal qui n’allait quand même pas lui gâcher ses vacances. Un tout dernier repas puis une porte involontairement ouverte sur la liberté pour le chien et sur la sérénité pour l’autre bête, l’humaine.

Les ingrédients complices de la décision finale étaient réunis: un endroit désertique et l’obscurité naissante d’un étrange brouillard qui l’empêcherait certainement même en cas d’improbables remords d’effectuer d’inutiles recherches.

Le chien, lui regardait le voisin, cauteleux à souhait et, fait bizarre, semblait même s’y attacher et s’habituer à ce grand bipède qui le nourrissait.

Que voulez-vous, quand on naît chien, on n’a pas le choix. Quand on est chien non plus d’ailleurs.

Le repas du soir se résuma pour l’animal à un tortueux bout de lard que lui jeta le hasard.

Le moment venu, l’homme entrouvrit légèrement la lourde porte en chêne et invita d’un geste brusque l’intrus à quitter les lieux. Préférant toutefois la douce chaleur de son nouvel intérieur, le chien ne bougea pas. Pris de colère, le voisin poussa alors un hurlement d’extase impure qui montait, satanique et lugubre, vers la lune qui, pour mieux observer les événements, éclairait la scène.

La pauvre bête, effrayée, sursauta et se précipita droit devant, vers son destin.

Le général Voisin venait d’exécuter son plan de bataille. Le chien, livré à lui-même, en ce milieu hostile et glacial, semblait avoir compris que cette fois la porte ne s’ouvrirait plus.

Il s’éloigna, la peur et la faim au ventre à la recherche d’un abri, même précaire.

Rudoyés par le vent furieux, les arbres s’entrechoquaient avec fracas, ajoutant si besoin s’en faisait encore sentir à l’effroi du petit roux.

La lune, caressant la forêt, dessinait des ombres effrayantes qui sans pitié poursuivaient l’animal.

Ce dernier courut à perdre haleine et le hasard le conduisit vers une espèce de grande étable où l’odeur rassurante des bêtes prenait nettement le pas sur celle combien plus inquiétante des humains.

Il pénétra prudemment à l’intérieur et tomba nez à nez avec un accueillant tas de paille qui lui offrit l’hospitalité pour la nuit tout en marquant cependant l’inexorable progression du compte à rebours de sa vie.

Le lendemain matin, le voisin, rasséréné, et debout de très bonnes heure et humeur, accomplit les deux kilomètres le séparant du village en un temps record, pour se procurer sans cependant s’attarder chez les villageois les quelques journaux qui allaient lui permettre de parcourir les glauques et mornes soubresauts de l’actualité dont ils étaient parsemés.

Il le fit en mangeant ses croissants qu’il trempait machinalement dans une grande tasse de chocolat chaud.

Il était également friand de la rubrique des chiens écrasés ou, si vous préférez des chats noyés.

Dans le même temps, mais en un autre endroit, un petit animal frigorifié déjeunait d’un vieil os abandonné qui s’offrait par la même occasion, mais très brièvement les feux de l’actualité. Un chien, ça ne se suicide pas, ses jours ne sont donc pas en danger.

Le chien, le voisin, séparés définitivement semblaient partis pour vivre chacun la vie de son côté, l’un riche, l’autre pauvre, à moins que ce ne soit le contraire. Grâce à son intelligence, l’homme peut visser des boulons dans son usine jusqu’à l’aurore de son cancer. L’animal, lui se contente de se nourrir quand il le peut, de s’abriter quand il le veut, de procréer sûrement et de mourir accessoirement.

Où se cache la vérité ? Qui est le riche ?

Les lourds nuages neigeux ne se posaient certes pas la question et déversaient leur chargement blanc qu’un vent de plus en plus violent et imprévisible répandait équitablement par monts et vaux. Les éléments déchaînés empêchaient le roux de quitter son refuge et permettaient au voisin d’effectuer ses héroïques promenades à travers bois. Pour ce faire, il s’était chaussé d’incroyables bottes dignes de la parfaite panoplie du militaire participant à une importante opération stratégique dans les lignes ennemies. Infime et dérisoire épouvantail de terrain vague oublié, notre voisin progressait dans la tourmente. Il sortit du bois, une grande étendue plane se présenta à ses yeux ravis. Il allait enfin pouvoir pratiquer le ski de fond dont il rêvait depuis des lustres. Ses vacances prenaient ainsi une tournure extrêmement favorable.

Le sort du chiot ne l’avait pas du tout ébranlé; il n’y pensait même plus et ce n’est pas cela qui lui provoquerait nuits blanches ou jours noirs.

Dans l’après-midi, le vent avait chassé neige et nuages pour faire place au soleil d’hiver qui, pourpre et lent comme un dignitaire ecclésiastique, descendait religieusement sur l’horizon tranquille.

Le voisin (mais ça pourrait être vous) fixa ses skis et passa la journée à sillonner la campagne, croisant de temps à autre un de ses semblables pris de la même manie.

Pendant ce temps, profitant à son tour de la relative bienveillance des éléments anciennement déchaînés, le roux quitta furtivement son abri et se mit à renifler les alentours.

Le chat n’a pas de maître, il est fidèle à sa maison; le chien s’attache à son propriétaire, chacun son truc, chacun sa connerie.

Le petit chien retrouva rapidement le chalet momentanément abandonné et se résigna à y attendre le retour du locataire, se couchant de tout son long au travers de la porte.

Après plusieurs heures de patience, en début de soirée, le voisin réapparut.

Le chien lui fit un triomphe, fier et content d’avoir retrouvé son maître et ami.

Apercevant le paria, l’homme réagit avec une véhémente brutalité et décocha un violent coup de pied qui atteignit la bête, surprise et meurtrie, dans les côtes. Son forfait accompli, il rentra alors précipitamment dans le chalet et, irrité, claqua la porte. Le roux hésita un long moment, s’assit devant la porte, aboya et larmoya mais rien n’y fit. L’homme mordait le coeur de l’animal de ses dents ravageuses et, le soir bien entamé, le chien regagna son tas de paille à quelques centaines de mètres du chalet de son maître.

Rien sinon la nuit ne se passa.

Le voisin qui devait avoir un rhumatisme près du coeur passa ses vacances sans plus se soucier du chien. Toutefois, par sadisme ou pour alimenter sa conscience il jetait les déchets de ses repas derrière le chalet, accomplissant ainsi l’âme en paix son devoir de père nourricier.

Bien que, n’ayant plus aucune raison d’espérer, le chien effectuait d’incessants va-et-vient dans les environs immédiats du chalet.

Cependant, ce manège ne dura pas. En effet, au matin du quatrième jour, le voisin qui s’était accoutumé sans vergogne à la nouvelle situation se leva et sortant du chalet, fut immédiatement saisi par une absence: le chien n’était plus là.

L’animal enfin résigné, les vacances se poursuivraient dans la quiétude, le voisin avait gagné.

Les jours suivants passèrent tristes et neigeux à souhait, un temps idéal pour les amateurs de ski de fond.

La deuxième semaine s’écoula bien plus rapidement que la première à un point tel que le grand retour s’annonçait déjà.

Après avoir savouré la vie de trappeur, notre homme se préparait à regagner la ville.

Sa turpitude effacée de la mémoire, seuls les bons souvenirs lui parcouraient l’esprit. 

Le retour

La voiture prestement chargée, notre voisin s’en fut.

La voie du retour grande ouverte, il vécut les quelques heures qui le séparaient de son domicile un peu comme l’instant philatélique où le vacancier organisé se prépare à coller dans son album mental les souvenirs sélectionnés des vacances passées, opération minutieuse pour qui sait l'art de savourer les réminiscences mais le voisin était loin d’imaginer ce qui l’attendait.

Le trajet effectué dans ses souvenirs, il arrêta le véhicule devant sa demeure et avant même d’en descendre, aperçut une espèce de masse sombre étendue, immobile, devant la porte d’entrée. S’approchant, il le reconnut immédiatement bien qu’il fût dans un piteux état. Le roux, bravant le froid, les dangers du monde humain avait retrouvé le chemin de la maison du bonheur.

Il avait les pattes ensanglantées et un manteau de boue tenace lui recouvrait le corps, mais qu’importe, il était revenu.

Stupide animal, n’aurais-tu mémorisé que le bol de lait ?

Le trappeur observait la bête endormie sur le seuil et subitement ému par tant d’attachement, ce triste sire se dit que tout compte fait, il pourrait bien l’adopter, cet animal têtu.

En échange d’un bol de lait journalier, l’homme recevrait d’illusoires marques de tendresse qu’il pourrait apprécier... jusqu’aux prochaines vacances.

Il souleva délicatement l’animal et le gratifia d’un profond sourire.

Le chafouin général voisin ne venait-il pas d’imaginer subitement, sans effort, son futur plan de bataille… 

Epilogue

La pénombre d’une nuit pluvieuse, un fleuve, un pont, quatre pattes attachées, un bruit sourd puis des ronds dans l’eau qui iraient s’agrandissant avant de céder la place à quelques bulles d’air qui, sinistres, remonteraient à la surface en explosant de honte…

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